Présentation du premier cycle du séminaire 2023-2024

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Organisation : Valérie Feschet, Gabriele Orlandi

Subjectivation et bonne vie en anthropologie

Inspiré par l’ouvrage de Sergio Dalla Bernardina, Faut qu’ça saigne ! (2020), ce cycle de séminaire invitera aux « extrapolations les plus hardies » comme l’auteur le fait à propos de la constatation du goût contemporain pour les animaux taxidermisés, ou leurs substituts symboliques et artistiques. Selon le cheminement d’une anthropologie conjecturale qui questionne ce qui se fait de plus paradoxal dans les sociétés modernes contemporaines, le cycle I du séminaire de l’IDEAS propose de mettre en résonance différentes explorations hétérogènes qui semblent poser pourtant la même question : « Que faut-il faire ? ».

Cette question oblige à conjuguer le temps humain avec l’idée d’éternité, d’immémorialité, selon une mise en esthétique des « restes » de ce qui fût : sauver ce qui part à « vau l’eau », donner un nouveau sens à ce qui n’en a plus mais qui reste là, pérenniser des savoir-faire, ressusciter les morts, réparer les fautes... Ces actions sont situées dans des espace-temps singuliers dans lesquelles les sujets combinent des injonctions plurielles (sans en avoir véritablement la grammaire). Le présent est-il vivable autrement que dans une dette à l’égard du passé et d’une responsabilité à l’égard du futur ? 

Les « intentions réparatrices » relatives à l’univers de la chasse comme invite à y penser Sergio Dalla Bernardina portent aussi sur de nombreuses autres actions et leurs extensions matérielles, ces artefacts animés incarnés par des subjectivités plurielles… le défunt, l’animal comme l’autre humain qui n’est plus là que l’on a tué lors d’une partie de chasse ou bien que l’on aimerait bien oublié sans oser l’avouer, cette chose dont on ne sait que faire qui possède et torture celui qui croit la posséder, ce savoir-faire qu’il ne faut pas perdre, qu’il faut labelliser, ré-inscrire dans le présent quel qu’en soit le coût… N’est-ce pas une problématique fondamentalement anthropologique que de penser le passé au futur ? Comment faire pour tout réparer, pour ne rien oublier ? Et pourquoi ? En partant du constat que toute configuration sociale élabore des idéaux de conduite, des modèles de bien-être, de bien-faire, nous proposons dans ce cycle de séminaire de conduire une anthropologie de ce que nous souhaitons désigner par la notion de « bonne vie », entendue comme une mise en accord des existants sur l’existant, le contexte. 

Quels sont les systèmes de légitimation des actes du bien-faire et du bon-goût, ceux annoncés comme évidents, impérieux, comme les plus incertains et les plus indécis ? Comment s’expriment les injonctions molles ou péremptoires, ces petites voies, ces gratifications intimes ou publiques, qui posent comme nécessaires, éthiques, fondamentales, certaines démarches et postures (les conduites professionnelles, alimentaires, la mise en mémoire, la gestion des ressources naturelles, les techniques, les relations avec les humains et le non-humains…) ? Il s’agira d’écouter la pluralité des « voix », des injonctions, des argumentaires respectifs en s’attardant sur des objets apotropaïques (Dalla Bernardina 2020 : 28), bien accrochés aux murs ou conservés dans les maisons et les musées, sur les processus de labellisation et de ré-existentialisation. 

Ce cycle de séminaires questionnera plusieurs des fils du programme de recherche de l’IDEAS, notamment la pluralité des esthétiques et la subjectivation des actions qui s’y rapportent ; la pluralité des manières de penser et de faire (agies par d’autres existants), les invitations ou les exhortations conjecturales à une bonne vie.


Séance introductive : jeudi 9 novembre 2023, 14h-16h, MMSH (salle 5). Valérie Feschet, Gabriele Orlandi. Introduction

Sergio Dalla Bernardina (Professeur émérite à l’Université de Bretagne Occidentale), Montrer le mort et vivre heureux. Du bon usage des reliques

« Il faut que ça saigne », mais on fait mine de rien. De nouvelles pratiques, aujourd’hui, donnent en spectacle la mort animale : on les interprète comme des  compensations (on dédommage la victime transformée en objet d’art) ou comme des actions militantes  (on rend public le martyre et on dénonce  les responsables). Limiter l’analyse à cet ordre de motivations permet de respecter le point de vue des acteurs, c’est vrai, mais  en fermant les yeux sur notre ambiguïté. La scène sanglante effraie et attire à la fois. Comment l’expliquer ? Les hypothèses ne manquent pas. Pour le plaisir du jeu, Sergio Dalla Bernardina propose de tester la conjecture suivante : orphelins du dispositif  sacrificiel, nous cherchons à en reproduire les effets cathartiques par d’autres moyens.


Séance 2 : 16 novembre 2023, 14h-16h, MMSH (salle Duby). Valérie Feschet (IDEAS, AMU), « Tout part à vau l’eau » : Retenir l’érosion du temps

"Gardez la maison !". Mais qui parle ? Qui pleure ? Valérie Feschet propose de documenter et de formaliser le balancier de la mémoire quand la montagne ruisselle et que le musée parfois répare les consciences à partir d’un terrain réalisé dans les Alpes de Haute Provence, dans les plus hauts hameaux encore habités aujourd’hui (Maljasset, La Rousse, Les Maurels dans la vallée de l’Ubaye). Conjuguer le temps humain avec une intention de conservation dans le futur de ce qui fut est une injonction culturelle qui définit bon nombre de sociétés humaines, si ce n’est toutes, chacune selon un mode opératoire singulier et conjecturel (transmissions orales d’une mémoire généalogique et/ou incarnation de cette même mémoire dans des artefacts dont font partie les archives). Les restes médiateurs permettent aux défunts d’être auprès des vivants et soufflent à l’oreille quelques injonctions diffuses ou péremptoires, quand ce n’est pas quelques gratifications intimes ou publiques qui posent comme nécessaires certaines actions de mise en mémoire. A travers une série d’entretiens et de photographies prises sur trois terrains différents, la pluralité des « voix » qui participent à la lutte contre l’érosion du temps sera présentée.


Séance 3 : 23 novembre 2023, 14h-16h, MMSH (salle Duby). Véronique Dassié (UMR Héritages), « Faut couper ! » Protéger les forêts pour réparer le monde

Depuis les années 2000, les forêts font l’objet d’une attention croissante, réactivée régulièrement par l’actualité médiatique estivale et les incendies. Les inquiétudes concernant les changements climatiques renforcent l’idée selon laquelle les forêts sont un bien commun qu’il faut préserver. Dans ce même contexte se développe aussi la volonté d’utiliser des matériaux durables et des énergies renouvelables, que le bois alimente. Alors que l’abattage des arbres devient une question sensible, les besoins en bois ne cessent donc de croître. La gestion sylvicole est ainsi devenu un point de crispation dès qu’il s’agit d’envisager la question du « bien faire » pour les forêts. A travers trois situations dans lesquelles des arbres ont été ou sont abattus (Versailles, une forêt privée, l’inscription de la futaie régulière de chêne au PCI), Véronique Dassié questionnera ce qu’il convient de réparer lorsqu’on se préoccupe du devenir des forêts. La manière dont la notion de catastrophe ou de désastre y fait sens appelle des réponses contrastées et des lectures patrimoniales concurrentes. Les enjeux écologiques ne sont pas les seuls mobilisés.


Séance 4 : 30 novembre 2023, 14h-16h, MMSH (salle Duby). Séance de reprise (mise en perspective avec une étude de cas), par Gabriele Orlandi (IDEAS, AMU), « On ne peut pas laisser les choses comme ça ! » : la forge de la modernité montagnarde

Entamée dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la crise des économies pastorales mixtes représente une période de rupture pour les populations des Alpes occidentales, à tel point qu’encore aujourd’hui, la déprise agricole et le déclin démographique questionne la possibilité même de leur existence dans la modernité contemporaine, sinon d’une manière subalterne. Les enquêtes les plus récentes montrent toutefois que ce récit est loin de résister à l’épreuve du terrain. Autochtones ou « néos », des personnes de toute âge et toute profession s’attèlent –de façon bénévole– à imaginer et à mettre en œuvre des solutions censées assurer un avenir meilleur aux espaces de montagne. Quels sont les mobiles de leurs actions ? Comment rendre compte d’une dépense d’énergie d’une telle ampleur ? À partir d’une enquête conduite sur les pratiques de labellisation et de régulation économique dans les Alpes italiennes, Gabriele Orlandi se penchera sur quelques modernisateurs de la montagne, pour en décrire les profils et les trajectoires, et ainsi faire émerger les passions qui les animent.