Collectologies. Rendre compte du présent
Atelier de l'IDEAS (Aix Marseille Université et CNRS) et du Mucem (Département Recherche et Enseignement)
Ethnographes, archéologues, conservateurs de musée, chercheurs en sciences sociales et naturelles, comme certains artistes contemporains, cherchent à prélever des traces, des objets, des récits, des images, des perceptions du réel, afin d’en établir une représentation plus ou moins fidèle. Description du présent, interprétation du passé, fondation et enrichissement de collections muséographiques, corpus de données scientifiques, pièces plastiques et digitales visuelles, sonores, audio-visuelles, œuvres performatives et spectacles vivant participent ainsi d’une économie de la collecte ethnographique qui dépasse aujourd’hui les frontières disciplinaires et les champs professionnels.
Si le musée ethnographique, évoluant en écomusée et en musée de société, a longtemps fait de la collecte ethnographique d’objets et de témoignages sa spécificité, il n’est plus aujourd’hui le seul sur ce terrain. Des multiples acteurs se saisissent du geste de collecte sous des formes très variées : en la retournant parfois contre l’institution muséale, en lui demandant souvent de jouer un rôle de critique sociale ou en l’imposant comme une pratique artistique à part entière. La collecte ethnographique est devenue un lieu de partage et de contestation métaculturelle majeure de nos sociétés contemporaines, marquées par les tensions postcoloniales, les revendications ethniques ou de genre, les replis locaux face à la globalisation, les angoisses liées aux changements climatiques et la persistance des inégalités sociales. La diversification des modalités de la collecte va de pair avec la transformation des enjeux esthétiques, culturels ou politiques des usages de ses produits. Cette inventivité et ce renouvellement font de la collecte une forme centrale du rapport contemporain à la vie sociale, à la critique et à la créativité que l’atelier Collectologies se propose d’explorer.
L’objectif principal de Collectologies est d’ouvrir un espace intellectuel, pratique et expérimental afin de rendre compte des dynamiques et des configurations changeantes de la collecte ethnographique. En cela, l’atelier a pour ambition de faire dialoguer l’anthropologie de la culture matérielle, la conservation du patrimoine, les pratiques patrimoniales participatives et non-institutionnelles, les démarches artistiques, souvent dans la subversion des discours officiels et historiques. Trois axes de questionnement se dégagent.
1. Façons de collecter. Méthodologies des collectes
Ce premier ensemble de réflexions touche à l’inventaire, l’histoire et l’actualité des différentes formes de la collecte ethnographique. Attentif aux modalités légales, aux pratiques ordinaires et institutionnelles, aux statuts et à la biographie des acteurs, aux médiums utilisés, aux variations et aux dynamiques de la forme « collecte » dans le temps, cet axe permet de l’historiciser en tant que pratique sociale. Qui fait de la collecte ? Dans quel but et suivant quelles valeurs morales, politiques ou juridiques ? Comment cette pratique influence-t-elle les biographies des acteurs ? Quelles sont les institutions reconnues ou les contre-structures qui la permettent ou la conditionnent ? Quelles sont les modalités techniques de la collecte et de quelle manière l’inscription disciplinaire, ou transversale, de ses acteurs interfère-t-elle dans le processus ? Comment comparer les types de collectes, de collections et de collecteurs ? Entre histoire culturelle, ethnographie de la collection et inventaire de l’inventivité sociale, les “façons de collecter” dessinent le paysage feuilleté et complexe de l’archive du présent.
2. Post-collectage. Documentation, exposition et biographie d’objets collectés
Le destin des données récoltées sur le terrain constitue le deuxième volet de la réflexion sur la collecte ethnographique du contemporain. Souvent restreint au giron des métiers de la documentation, de la conservation et de l’exposition, le traitement post-collectage mérite cependant autant d’attention que la phase précédente car se joue alors parfois le destin d’un objet, d’un récit, d’une image qui se retrouvera dans une exposition ou sera oublié par ces collecteurs mêmes. Quelle est la biographie des objets collectés ? Quels en sont les cheminements intellectuels, muséaux, artistiques ou militants ? Comment en renseigner l’effacement, la disparition ou les contre-emplois ? Se posent ainsi des questions centrales sur l’éthique du post-collectage et, par conséquent, sur le potentiel polysémique, voire parfois dissonant, des collectes à chaque échelle d’usage.
3. Créativité. Les autres possibles de la collecte
Dans une perspective de multiples interprétations et de multiples usages, le troisième volet de Collectologies s’intéresse aux processus qui favorisent ou empêchent des lectures et des approches alternatives des collectes. Dans quel cadre les re-sémantisations possibles se font-elles ? Quelles dynamiques (convergences, divergences, réassemblages) engagent-elles ? Dans quels espaces-temps (milieux militants culturels, ethniques, religieux ou de genre) se met en action la libération des normes de conservation et d'exposition, ou a contrario la confrontation potentiellement conflictuelle des sens des objets, lorsqu’ils quittent leur environnement scientifique ? Le temps de la collecte comme celui du post-collectage se pensent alors comme des laboratoires des "possibles" où se rencontrent et se confrontent enquêtes ethnographique, artistique et militante et leurs respectives contraintes.
L’exploration des trois phases détaillées ci-dessous nourrit à la fois la démarche critique et celle pratique qui anime l’atelier Collectologies.La dimension épistémologique s’accompagne, en effet, d’une volonté de mise à l’épreuve pratique ouverte aux acteurs et actrices de la collecte et plus largement à la société civile dans son ensemble. En parallèle d’un volet de réflexion théorique, nous envisageons un volet davantage opérationnel autour des défis concrets que pose la collecte, tant dans la phase de recueil que dans celle d’inventaire, de sauvegarde et d'exploitation du matériel visé. Ce volet, qui proposera une initiation aux orientations et besoins pratiques, sera animé par des professionnels du patrimoine, en partenariat avec les membres de l’atelier.
Direction scientifique :
Giulia Fabbiano (Aix Marseille Université, IDEAS)
Aude Fanlo (Mucem, Département Recherche et Enseignement)
Co-portage institutionnel :
- IDEAS
- Mucem
Partenariat :
- École d'Art d'Aix-en-Provence
- Musée de Salagon
- GIS Patrimoines en partage
- Ministère de la culture
- Aix Marseille Université