Sur les conditions du travail de terrain

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 Nom Pèlerinage-des-Regraga,-Sidi-Ouasmine,-région-d'Essaouira,-Maroc-©-Manoël-Pénicaud,-IDEAS

Lors de l’AG de l’Idemec, futur IDEAS, qui s’est tenue le 19 octobre dernier, les membres de l’unité ont décidé d’alerter les tutelles sur la dégradation des conditions de travail, particulièrement manifeste dans le cadre des demandes de mission des personnels chercheurs. 

Ces craintes ont déjà été formulées par de nombreux collègues d’autres unités confrontées aux méthodes ethnographiques – en particulier par celles et ceux de l’IREMAM et de l’IMAF. Nous joignons nos voix aux leurs et souhaitons insister sur les effets singulièrement négatifs que cette dégradation a sur nos disciplines des SHS reposant sur la pratique du travail de terrain, y compris dans des zones dites « à risques ».

Notre unité de recherche est constituée d’anthropologues dont les travaux nécessitent un ancrage empirique indissociable de séjours conséquents sur les terrains concernés. La mise en place des procédures liées aux nouvelles plateformes logicielles a été - est encore - laborieuse, mais elle a le mérite de pointer des dysfonctionnements persistants dans l’organisation des missions de terrain.

Ces dysfonctionnements touchent à la liberté de l’enquête, en concordance avec nos méthodes de recherche. Cela commence dès la réservation avec l’outil Goelett, qui ne permet pas l’accès à toutes les compagnies et contraint de façon drastique les horaires de voyage - sans parler des tarifs négociés, souvent plus élevés que ceux du marché. Cela se poursuit sur le terrain, avec l’injonction de se rapprocher d’institutions (françaises ou locales), ou de fournir des justificatifs, quand certaines institutions relevant d’autres tutelles ont pourtant la possibilité de proposer des per diem

Nous demandons à ce que la gestion financière et logistique de ces déplacements soit examinée dans leur complexité, au regard des nécessités propres à l’activité de chercheur·e en sciences humaines et sociales (terrains d’enquête non strictement prévisibles dans le détail de leurs déroulés) et qu’ils puissent reposer sur la base d’une appréciation de confiance entre chercheur·es, personnels d’appui à la recherche et administration centrale. 

Cette nuance de traitement permettrait de maintenir une concordance entre la nature même du terrain, pas forcément rompue à l’exercice comptable français. Il convient de rappeler que les pays concernés dans le cadre des recherches pour lesquelles les chercheur·es ont été recruté·es par le CNRS ne permettent pas systématiquement la présence de justificatifs financiers. Ils ne permettent pas non plus nécessairement, eu égard aux problématiques des travaux menés, d’anticiper des semaines à l’avance certains départs qui en appellent pourtant à l’autorisation du FSD. Or nous assistons depuis plusieurs mois à un renforcement des restrictions liées aux déplacements, qui entravent la recherche de nos chercheur·es (doctorant·es comme titulaires) et exercent une pression importante sur les personnels fonctions supports à la recherche, en sous-effectif.

Nous comprenons la responsabilité de nos institutions (CNRS, Université) et leur souci de protéger leurs agent·es tout en satisfaisant aux réglementations relatives à la fonction publique. Il convient cependant de prendre en compte la spécificité de nos disciplines et de ne pas en venir à la situation paradoxale où, sous couvert de minimiser tout risque, les chercheur·es en viendraient à devoir renoncer à leurs terrains au profit d’autres, moins problématiques en termes géopolitiques. Ces terrains forment le terreau de la production des savoirs pour laquelle nous œuvrons d’arrache-pied, et ne peuvent être cantonnés aux quelques rares zones encore considérées “non à risques”.

Pour contrer une bureaucratisation excessive de nos professions, pour poursuivre nos travaux au plus proche des individus, des pratiques et des contextes, comme l’impose notre déontologie de chercheur·e, et enfin, pour insister sur la pression que les démarches actuelles impliquent sur les personnels administratifs, les membres de l’Idemec/IDEAS se joignent à leurs collègues de l’IREMAM et de l’IMAF pour alerter sur les spécificités de nos disciplines.